« On est tous des Fabien Lemoine en puissance ! », par Jean-Marc Mézenge

Fabien Lemoine revient de loin ! Il revient même de Nancy où il a laissé son rein dans un duel trop violent avec un adversaire trop déterminé. Il aurait pu y perdre beaucoup plus. Dans un article, le jeune et prometteur joueur du Stade Rennais relate avec une précision chirurgicale le déroulement de cet accident inhérent à la pratique du football mais qui reste, quand même, très exceptionnel. Les détails nous font frémir. Loin de moi la pensée que ce traumatisme soit anodin et, avec force et sincérité, je compatis à la souffrance du joueur et celle de sa famille. Mais combien de footballeurs qui rêvaient, comme Fabien, d’une carrière sans embuches, ont été victimes de « blessures » qui pour certains n’ont jamais cicatrisé ? Aussi, l’interview se termine par cette phrase laconique mais pleine d’émotion : « Pour l’instant le plus important, c’est la vie. Le reste … ».

Parlons-en du reste ! Le football devient-il vraiment secondaire dans des moments aussi douloureux ? Sans aucun doute, mais le temps et l’envie modifient souvent « la donne » et je suis sûr que Fabien, de nature combative, va retrouver ses sensations et son niveau.

Celui qui a déjà approché, de près ou de loin, le spectre du dernier souffle – sur le terrain mais aussi en dehors –  sait que notre passion restera le meilleur moyen thérapeutique de retrouver un peu de sérénité et surtout une harmonie. L’homme est biologiquement programmé pour mourir. « Le plus tard possible et après un coupe du monde gagné par l’équipe de France ! » s’était exclamé Thierry Rolland en 1998. Comme le joueur professionnel est « préparé » pour faire le deuil d’une première vie  parsemée de gloire, d’argent et de trophées mais aussi de pièges, de désillusions, de frustrations et de plaies psychologiques post-traumatiques qui replongeront, un jour ou l’autre et à l’heure de la retraite sportive, « les champions de 20 ans ou de 30 ans» dans un abîme de doutes.

La descente aux enfers de Michel Cougé, joueur des années 80 de Laval et Rennes, en est l’illustration. Jugé à Dakar pour des actes odieux (viols et pédophilie sur mineurs), il aurait même tenté de mettre fin à son calvaire. En pensant également aux destins brisés de joueurs que l’on a aimés, le souvenir de Cyril Yapi, qui à 27 ans a basculé dans la violence conjugale et qui a été incarcéré pour tentative d’homicide, hante mon esprit et me rend encore plus nauséeux. D’autres, au sort moins spectaculaire, moins connus et très nombreux, souffrent encore en silence. La bombe humaine peut, à tout moment en tous lieux, exploser.

Maintenant, interrogez-vous un instant sur le rapport avec l’accident de Fabien ! Tous ceux qui ont été victimes, sur ou en dehors du terrain, de violences physiques, de harcèlement moral, de pressions familiales, sociales ou médiatiques, d’agressions verbales (chants xénophobes, cris homophobes, sifflets tendancieux ou slogans débiles) mais aussi d’accidents domestiques, du travail, de la route, etc. … sont tous devenus, ne serait-ce qu’un instant, des Fabien Lemoine. Les souffrances invisibles, très souvent « somatisées », sont parfois aussi douloureuses que les blessures de chairs. Imbriquées dans une même détresse, on soigne les plaies du corps sans se soucier des conséquences mentales. On ne badine pas avec la santé, elle est sacrée. Il y a là un « effet miroir » qui renvoie en psychologie à ses propres turpitudes car on a tous dans son entourage un être cher à panser ou, pour soi même, un sujet d’inquiétude voire une maladie potentielle.

A l’orée de la rentrée du centre de formation du SRFC, qui en est à son cinquième « titre » consécutif, on a rappelé, à juste titre, à 43 « stagiaires » que : « Seuls quelques un d’entres vous deviendront des joueurs professionnels capables de jouer au SRFC ». Depuis plus de 20 ans, la dure réalité du football moderne n’est-elle pas encore plus violente quand on s’imagine le nombre de déçus, de traumatisés, reconvertis à une autre « religion » ? Alors même si le professionnalisme peut être aussi une bonne école de la vie, face à la violence sociale et à son insécurité, l’heure n’est hélas ni aux bons sentiments, ni aux apitoiements. C’est la vie, c’est le foot, chacun se débrouille comme il peut avec ses armes et les moyens qu’il se donne ou qu’on lui donne. « Les plus costauds mentalement passeront !». Mais n’est-ce pas dans un état passager que certains bifurquent ou disparaissent pour renaitre « ailleurs » et cette fois-ci fort comme un M’Vila adoubé par Frédéric Antonetti ? Alors, à chaque bonne ou mauvaise raison qu’on a de faire du mal aux footballeurs, ou aux quidams d’ailleurs, par des a prioris, des critiques subjectives, des humiliations, des dénigrements ou fausses rumeurs, ayons toujours à l’esprit qu’un jour ou l’autre : « on sera tous des Fabien Lemoine ! ». Blessés, meurtris, au bord du KO, mais la vie continue et le foot aussi.

Jean-Marc Mézenge

* Jean-Marc Mézenge est l’ancien adjoint de Raymond Kéruzoré et consultant sur France bleu Armorique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *