Il y a cinq ans, je m’étais promis de ne plus revenir.
Je n’avais pu être à Saint-Denis en 2009. Mais en 2013 et 2014, j’y étais. Dans ce virage nord du stade de France où se sont forgées maintes et maintes désillusions en l’espace de cinq ans. L’impuissance ressentie en 2013, le match honteux de 2014, tout ça couplé à la gifle de 2009 et à tout le reste, c’en était trop. Franchement. Le genre de moments où le fer rouge marque la chair, où chaque minute en tribune tourne à l’insupportable. Fini le stade de France, donc. Pas de quoi retourner mon maillot de supporter, bien sûr, mais un vaccin anti-dyonisien pour s’éviter trop de souffrances. Et puis… et puis…
« Où tu es, nous sommes là. Car nous deux, c’est pour la vie… »
À la fin de la saison dernière avait jailli une étincelle. À la lumière de Séville et par la grâce de saint Julien, l’étincelle s’était transformée en un bon feu de bois, bien vivace. Restait à achever l’embrasement, à le convertir en feu de joie.
Ces dernières années, on a parfois maudit ce club qui nous infligeait plus de souffrances qu’il ne nous offrait de joies. Je ne sais pas si je suis le seul, mais j’en venais presque à souhaiter que ma future progéniture se désintéresse du foot. Qu’elle ait d’autres motifs de passion, plutôt que je leur transmette ce virus. Jamais ce club n’y arrivera, me disais-je, alors pourquoi s’infliger ses malheurs quand l’innocence et la jeunesse nous offrent encore le choix ? Pour moi, c’est déjà foutu…
« Un jour il y a longtemps, j’suis tombé fou de toi. Me demande pas comment, c’est arrivé comme ça… »
Alors finalement, on y revient. On souffre puis on exulte contre le Betis. On exulte puis on souffre contre Arsenal. Et vient cette coupe. Le miracle des tirs au but contre Brest. L’espoir déçu de rencontrer le vaillant voisin vitréen. La joie de s’en sortir contre Lille. La colère contre la VAR à Lyon. Le sentiment d’injustice réparé par Bensebaini et sa frappe thuramesque. Et donc la possibilité, cinq ans plus tard, de revivre une finale au stade de France.
Il paraît qu’il faut invoquer saint Denis, patron des guérisseurs, en cas de délires et de migraines. Après les céphalées de la dernière décennie, pouvait-on espérer un délire collectif ?
« Depuis le temps a passé, et je suis toujours là. Toujours à tes côtés, ce soir gagne pour moi… »
Le soir de la demi-finale, ma décision était prise. Ma résolution de 2014 rapidement reniée. Pas le choix, il fallait revenir. Quel que soit l’adversaire. L’inaccessible PSG, pour la normalité d’une défaite, ou le FC Nantes, face auquel un échec aurait sonné comme une plus grande humiliation que sur les trois finales précédentes. En voyant se profiler le PSG et ses 29 matchs d’invincibilité dans la compétition, vient la crainte d’une nouvelle soirée cauchemardesque dans les travées du virage nord.
Sur le papier, elle s’annonce indiscutablement comme la finale la moins « gagnable » des quatre. D’ailleurs, traumatisme né des trois précédentes, ou pessimisme lié à l’adversaire, l’enthousiasme collectif semble moins grand cette année.
« Et si… et si… ? »
Alors, quand je prends la route du stade de France, je préfère ne pas y croire. Me dire que je ferai le chemin inverse, le lendemain, avec une finale perdue de plus dans les valises. Partir avec trop d’espoirs, c’est s’exposer à rentrer trop déçu. Mais quelque part, secrètement au fond de soi, on ne peut s’empêcher de rêver. D’imaginer Benjamin André soulever la coupe. « Tiens, je suis sûr qu’il irait chercher Romain Danzé pour la lever avec lui, ce serait une belle image. »
Après le train, vient la ligne 13. Le rouge et noir se regroupe, s’agglutine. Le flux se presse hors du métro. La silhouette du stade se précise. Les mauvais souvenirs sont encore là, mais nombreux sont ceux qui se prennent en photo avec, sur la passerelle qui enjambe le vieux canal.
« Fichues finales »
Les années et l’éloignement géographique de mon Ille-et-Vilaine familiale me font de plus en plus goûter les retrouvailles. Me retrouver rouge et noir parmi les rouges et noirs, petite unité au sein de cette grande famille. Tous ensemble, unis derrière notre club, derrière nos couleurs. Retrouver ceux qui sont devenus, par le biais de cette passion commune, des amis. Voir les papys en maillot Pfizer, accompagner leurs petits-enfants grimés en rouge et noir. Les couples, les générations réunies derrière ce grand rêve commun. Les packs de bière, les galettes-saucisses ramenées du pays. On se cherche dans la foule, on discute, on rigole, on tue l’attente avant de rentrer dans l’enceinte.
« Billet s’il vous plaît… ok, bon match »
Je monte jusqu’à mon bloc. Le même que face à Saint-Étienne. Sale souvenir. Le match insipide, le but de Brandao. Le sentiment que la vague rouge avait été engloutie par la marée verte, autant sur le pré que dans les tribunes.
Mais cette fois, les choses sont différentes. Rennes joue à l’extérieur, avec un parcage un peu plus grand que d’habitude. De façon caricaturale, Rennes est le petit poucet, l’outsider à qui l’on n’en voudra pas d’échouer. Son public est là pour le voir aller chercher l’exploit, comme à Séville. Les joueurs le savent et vont s’en nourrir, c’est sûr…
« Hé merde… encore raté…»
But somptueux d’Alves. Neymar enchaîne, et nous chambre au poteau de corner. 0-2 en vingt minutes. Rideau. Pourvu que ça ne vire pas à l’humiliation que l’on craignait…
En 2014, avec un but de retard à la pause, l’issue semblait inéluctable. Contre ce PSG, avec deux buts à remonter, comment y croire encore ? Mais pourtant, le public continue de jouer son rôle, à chanter, à soutenir. Tout début d’offensive rennaise provoque un frémissement, tout échec parisien une onde de soulagement. Koubek sauve les meubles. Poteau trouvé par Niang. Raté de Kimpembe, réduction du score.
« Bon ben… y’a de l’espoir ! »
Y croire sans trop vouloir y croire, c’est un peu mon état d’esprit pendant la mi-temps. Mais le reste du match va tourner au n’importe quoi émotionnel. Peur, joie incontrôlable, espoir, soulagement, colère, c’est dingue la palette de sentiments que l’on peut ressentir sur quelques centimètres carrés de tribune. L’explosion du virage sur le coup de tête de Mexer, les frissons à chaque action parisienne dangereuse, le timbre de ma voix qui déraille de plus en plus, à chaque cri et à chaque chant. Et puis ce lent stress qui monte, qui monte… au fur et à mesure que se dessine la possibilité de voir prendre fin une attente longue de 48 ans.
« Et si… et si… et si… ? »
La prolongation s’écoule, et je ne saurais dire si elle est passée beaucoup trop vite ou beaucoup trop lentement. Les tirs au but se rapprochent. Je commence à me demander si mon cœur va réussir à tenir jusqu’à la fin, il bat beaucoup trop fort quand le ballon se rapproche du but… Ben Arfa manque le cadre d’un rien, il s’arrête pendant deux secondes. On est tellement près de cette victoire incroyable, on la touche du doigt… Et si, et si…
Jusqu’à ce que la raison reprenne ses droits. Une finale gagnée ? Impossible ! Il va forcément nous arriver une tuile, un penalty litigieux ou que sais-je ? Et si cette coupe nous échappe, comment pourra-t-on s’en relever ?
Coup de sifflet final.
Jouer autant sur une séance de tirs au but devient inhumain. Je rentre dans une phase quasi hypnotique, avec le regard fixé sur le but opposé. Le ballet des tireurs commence. Tir rennais. Tir parisien. Crainte. Espoir. Crainte. Espoir. La tension monte encore d’un cran quand la séance rentre dans sa phase décisive, avec les derniers tireurs. Et puis, Nkunku se présente devant Koubek.
C’est peut-être faux, mais je pense que rares sont les supporters qui peuvent assurer avoir ressenti autant d’émotions que nous, Rennais, aux dernières lueurs de ce 27 avril. À l’origine, quand j’ai voulu écrire ce billet, j’avais envie de décrire tout ce qui m’est passé par la tête pendant les minutes qui ont suivi la victoire rennaise. Mais honnêtement, c’est totalement impossible. On était 30.000 dans un état second, à se sauter dans les bras entre parfaits inconnus, à se prendre la tête à deux mains en ne parvenant pas à réaliser qu’en l’espace de quelques secondes, des décennies de frustrations et de désillusions avaient été balayées. Passée l’explosion incontrôlable, je me suis mis à sangloter sans trop savoir pourquoi, totalement K.O. debout, à ne plus savoir quoi ressentir. J’imagine que c’est l’accumulation de stress, le scénario incroyable du match, et cette issue inespérée qui ont provoqué tout ça, autant que la délivrance de voir ce foutu statut de « club de la lose » enfin jeté aux oubliettes. Trois jours après, mes yeux sont encore humides en repensant à ces moments incroyables. C’était génialement fou, totalement irréel, furieusement fabuleux.
Fier d’être Rennais, je l’ai toujours été. Je le suis d’autant plus en voyant cette équipe courir spontanément vers son public pour célébrer son succès. Gagner pour nous, ce n’était pas un vain mot. Tout donner, également. Cette coupe, on a le sentiment que tout un club, supporters compris, est allé la chercher ensemble. Qu’il l’a conquise envers et contre tout. Et de voir ces célébrations, de voir cette union entre une équipe et ses supporters, redonne encore un peu plus de relief à ce succès. Parce que les « cette année, c’est la bonne », parfois lancés ironiquement, étaient surtout révélateurs d’un public qui n’a jamais abandonné son club, malgré toutes les désillusions subies. Ce samedi 27 avril, ses joueurs le lui ont rendu en transformant le stade de France, habituel lieu de supplice, en paradis. Le temps d’une douce soirée que je n’oublierai jamais.
Par Sylvain
magnifique, j ai les larmes aux yeux en lisant ca
🙂
Splendide
Une soirée inoubliable
Merci beaucoup pour votre passion pour notre bon vieux « jeune »stade rennais
Comment tu as réussi à lire et retranscrire ce qu’il y’a dans ma tête BRAVO
Mais c’est tout moi ça
Magnifique ! Je suis Sylvain. On est tous des Sylvains ! Cette Coupe est tellement belle ! L’union sacrée des joueurs et du staff, la ferveur innocente des supporters, les valeurs d’humilité, de collectif, d’abnégation, de résilience, le partage et la bienveillance. Tout y est ! 3 champions renversés et Brest, notre coriace voisin qui nous pousse dans nos derniers retranchements. Après tant d’années sans trophée et tant de désillusions, on s’est enfin libérés et la communion est tellement grisante. J’en étais devenu superstitieux au point de ne pas aller au Stade de France, cette année, pour changer le karma. J’ai repris le train en route, mais je ne regrette rien. La fête était belle à Rennes, les yeux braqués sur nos gaulois dans l’antre de Lutèce. Quelles émotions ! Quelle joie intense ! Quel pied quand on y repense !
Exactement ce que j ai ressenti au stade de France ! Toutes ces frustrations qui s’envolent en une fraction de seconde, c’est indescriptible !!!!! Merci le SRFC de nous faire vivre ces sensations ! Que je me sens bien !!!!
Bravo Sylvain tu as tout dit. …
J’aurais plu écrier la même chose…
Bah non apparemment !!!!!
Quand le président de Rennes déclaré » lundi matin 3 ‘ouveaux joueurs ont été déclarés positif au coronavirus : » ça veut dire que ça s’ajoute à au moins 1 joueur , soit 4 au total au minimum et qu’il fait donc réglementairement reporter la rencontre !