Fiction. Une histoire de saisons : Comment le Stade Rennais a effacé le souvenir d’un été morose par un automne extraordinaire.
Un dimanche après-midi de mi-septembre au Parc des Sports de la Route de Lorient… Comme guidées par une main invisible, deux frappes stratosphériques d’Alain Traoré venaient punir des rennais attentistes et sans énergie. Deux cartons rouges provoqués par le virevoltant Pitroipa et un but du même joueur ne suffisaient pas à renverser la tendance : à neuf contre onze pendant le plus gros de la deuxième mi-temps, le Stade Rennais s’était malgré tout incliné à domicile, face au voisin et rival morbihannais.
Dans les tribunes, la colère était manifeste, les sifflets stridents et les mines déconfites. Rien n’allait plus au Stade Rennais, et une cinquième défaite en six matchs de championnat semblait avoir déjà douché les espoirs d’un public qui avait perdu l’habitude des « débuts de saison à la rennaise ». Les relents de galette saucisse avaient comme une odeur amère autour du stade de la Route de Lorient, où les mots « humiliation », « relégation » et « démission » se disputaient les faveurs des supporters désabusés…
Le président lui-même semblait bien circonspect. Le regard dans le vague aux abords de la tribune d’honneur, il sondait, incrédule, les travées de son stade, le public de son club, lui, le breton d’adoption comme il aimait le rappeler. Son humeur oscillait entre colère, incompréhension et impuissance. Frédéric de Saint Sernin ressassait inlassablement les évènements de la soirée, se demandant ce qui avait bien pu le pousser à revenir se mettre dans cette galère. Il avait pourtant juré qu’on ne l’y reprendrait plus, mais la tentation était trop forte. Et voilà où il en était rendu, impuissant face à ce qui ressemblait aux signes annonciateurs d’une saison des plus moroses.
Quelques mètres en contrebas, au bord de la pelouse, deux hommes étaient en grande discussion. L’un d’eux, un homme à l’allure patibulaire semblait perdre patience au fil de la discussion. Son visage bosselé avait quelque chose de celui d’un boxeur finalement poussé vers la retraite après quelques combats de trop. La cinquantaine bien entamée, l’œil noir et le nez de travers… Sa chevelure blonde mettait en valeur un teint rougeaud amplifié par une visible expression de colère, il semblait sur le point d’exploser.
Le septuagénaire se contentait de donner la réplique à son interlocuteur, stoïque, sans jamais lever la voix. De grande stature, un visage doux avec deux profonds yeux noirs et une barbe parfaitement taillée, il arborait un costume de luxe au-dessus du quel reposait une sorte de cape un peu incongrue en ce bel après-midi de fin d’été. Sans perdre son calme alors que le ton de son interlocuteur se faisait menaçant, le vieil homme se contenta de lever la main au ciel sans perdre des yeux son interlocuteur. Le « boxeur » se calma instantanément avant de se mettre en marche vers la sortie du stade sans un mot de plus.
De Saint-Sernin suivit l’homme des yeux pendant quelques secondes, tandis qu’il se dirigeait vers la sortie du stade. Il avait du mal à comprendre ce qui venait de se passer devant ses yeux, le brouhaha ambiant l’ayant empêché de saisir le sens de la discussion opposant les deux hommes.
– « Paul Put », lui murmura Pierre Dréossi à l’oreille
– « Pardon ? », lui répondit Frédéric de Saint Sernin, se retournant vivement vers son directeur sportif, certain d’avoir mal compris ses propos.
– « Paul Put, le nouveau sélectionneur du Burkina Faso. Il passe sa vie sur les matchs du FC Lorient en ce moment, il est très proche d’Alain Traoré… »
– « Je vois… et lui ? ». De Saint Sernin tourna son regard vers l’homme à la cape Gucci en pointant le menton dans sa direction.
– « Lui je ne sais pas. Il sort de nulle part, il est toujours collé avec Paul Put depuis le début de la saison mais je ne l’avais jamais vu dans le monde du foot avant cet été. Il se fait appeler Remi »
– « Je vois… ». De Saint-Sernin chuchota ces derniers mots d’un air las avant de se retourner vers Remi.
Le mystérieux gentleman était déjà là, face à lui. Le temps de se retourner, Remi avait monté la trentaine de marches les séparant, et il ne semblait pas avoir perdu son souffle pour autant. Un sourire inondant son visage affable et courtois, il tendit la main vers le président du Stade Rennais puis vers le directeur général tout en se présentant :
– « Remi Chantrellunne», commença-t-il…
– « Enchanté », répondit Saint-Sernin bien innocemment.
– « J’ai la solution à votre problème », continua le vieil homme, d’une voix forte et assurée.
– « Très bien », lui répondit Pierre Dréossi d’un air moqueur, « et on pourrait en savoir plus ? »
– « Vous avez vu les Burkinabés ce soir ? Vous avez vu Traoré depuis le début de la saison ? C’est mon boulot… »
– « Vous ne vous foutriez pas un de peu de notre gueule par hasard ? ». Dréossi commençait déjà à perdre patience devant l’assurance de Remi. « Vous débarquez de nulle part, vous affirmez être responsable des performances de Traoré et Pitroipa, et vous nous demandez les rennes du club, c’est juste ? »
– « Je ne vous demande pas les rennes du club. Juste un appartement sympa en ville, un salaire raisonnable et des places VIP pour les matchs. Et ça tombe bien, je suis libre à partir de cette semaine».
L’homme tendit une sorte de carte de visite à Dréossi et de Saint Sernin : un carton blanc sur lequel étaient simplement griffonnés son prénom, Remi, et un numéro de téléphone portable.
– « Très bien monsieur Chantrellunne, on vous rappellera ». Frédéric de Saint Sernin prit sur lui pour garder son sérieux face à cet étrange énergumène.
– « Comme cela vous convient. Je ne prends que des contrats de trois mois en concordance avec les saisons et l’équinoxe arrive samedi prochain. Je vous conseillerais de réfléchir rapidement. Il y a des opportunités qui n’arrivent que rarement. Un peu comme marquer un but pour un gardien si vous voyez ce que je veux dire… »
De Saint-Sernin et Dréossi se regardèrent un instant en silence tandis que l’inconnu marchait lentement vers la sortie du stade. D’un sourire convenu, ils prirent congé et retournèrent ensemble vers les salons du stade afin de discuter des mesures à prendre pour sauver le club.
Et Dieu sait si la situation était préoccupante. Cible de toutes les critiques, qu’elles descendent de la tribune de presse ou des travées populaires, Frédéric Antonetti n’était peut-être plus l’homme de la situation après tout. Trois saisons difficiles semblaient l’avoir usé nerveusement et son caractère imprévisible n’était pas loin de faire l’unanimité contre lui. Il aurait trois matchs pour remettre l’équipe sur les rails. Deux matchs toujours difficiles à Toulouse et contre Lille et un tour de Coupe de la Ligue face à Nancy.
Ce dimanche soir-là, Frédéric de Saint-Sernin eut du mal à trouver le sommeil. Inquiet pour son club, désolé de la tournure qu’était en train de prendre sa seconde expérience rennaise, il n’avait simplement pas la solution. Sportivement, ce n’était pas de son ressort. Il ne prétendait pas avoir l’expérience et la compétence nécessaires pour régler les problèmes quotidiens d’un vestiaire de football professionnel.
Humainement, c’était autre chose. Les joueurs semblaient dépassés, fatigués, en manque flagrant de confiance, presque perdus sur le terrain et en dehors. Pouvait-il mettre son grain de sel pour apaiser la situation sans faire ingérence sur le domaine sportif ? Et puis il ne pouvait s’empêcher de repenser à cet énergumène en costume trois pièces et capes Gucci.
Comment cet homme sorti de nulle part pouvait-il prétendre avec tant d’assurance être la solution aux soucis du club breton ? Il en avait vu, dans sa carrière, des charlatans et des baratineurs, il avait passé suffisamment de temps dans le monde de la politique. Mais celui-là avait un aplomb qui dépassait l’entendement.
La semaine aidant, il mit de côté le vieil homme pour travailler à son plan de sauvetage du Stade rennais. L’état d’urgence était décrété et il fallait aller chercher un résultat positif au Stadium. Devant son poste de télévision, il ne put s’empêcher de penser à Remi quand Pitroipa ouvrit le score avant de se moquer de sa propre crédulité. Il récidiva pourtant quand le retourné acrobatique de Mevlüt Erding prenait une trajectoire improbable pour entrer dans le but après une déviation involontaire de Didot, l’ancien « Maldini Rennais ». Un match étrange mais la victoire était au bout. Deux buts à un dans les dernières secondes des arrêts de jeu, un dernier coup-franc dangereux… Ali Ahamada remontait le terrain à grandes enjambées… Il n’allait quand même pas…
Avant le coup de pied, Frédéric de Saint-Sernin avait déjà compris ce qui allait suivre. Il se surprit à tâter ses poches avec l’énergie frénétique d’un héros hollywoodien n’ayant plus que quelques minutes pour sauver le monde. La carte de visite de Remi n’y était pas, bien évidemment. Pas plus qu’elle n’était dans sa voiture, dans sa veste ou dans son bureau à la Piverdière. Le petit bout de carton n’avait passé que quelques secondes dans ses mains avant de finir dans la poubelle de l’un des salons VIP du stade. Sur l’écran de télévision, Ahamada exultait avant d’annoncer qu’il avait « eu une vision » et s’était vu marquer ce but. De Saint-Sernin, lui, enrageait : ce fameux équinoxe, c’était aujourd’hui, le 22 septembre, et il n’avait que deux heures pour recontacter Remi.
Mais pourquoi le recontacter après tout ? Ce n’était qu’un coup de chance consécutif à un coup de bluff. Saint-Sernin avait du mal à croire qu’il puisse être idiot au point de croire aux capacités magiques d’un charlatan à l’aplomb magistral. La sonnerie du téléphone le stoppa dans ses divagations. C’était Dréossi à l’autre bout du fil :
– « Bonjour Frédéric, tu as encore le numéro de ce Remi ? »
– « Non, j’ai jeté sa carte immédiatement. Tu es sérieux ? »
– « Je n’en sais rien. Ce n’est qu’un contrat de trois mois après tout. Je ne l’ai pas gardée non plus, je vais voir ce que je peux faire… »
– « Félicite l’équipe pour son match, on est sur la bonne voie… »
Comment retrouver la trace d’un homme nommé Remi en deux heures, dans une ville de la taille de Rennes, sans autre indice qu’une rencontre de quelques secondes et une proposition incongrue ? Sans numéro de téléphone, sans aucune idée de son lieu de résidence, sans rien ? Il ne restait que le stade !
Une demi-heure plus tard, de Saint Sernin était sur le parking du stade. Que faisait-il là un dimanche soir à 23 heures ? Il avait du mal à le comprendre lui-même. Les bars de la Route de Lorient étaient fermés, les rues désertes. Il n’avait pas grand-chose à faire ici. Au loin, il aperçut quelques membres du Roazhon Celtic Kop devant leur local, en train de refaire le match une bière et une cigarette à la main. D’abord surpris de voir leur président les saluer, ils l’accueillirent pour quelques minutes à l’intérieur du local. L’humeur était plutôt positive après un match rassurant malgré l’issue douloureuse, et les discussions allaient bon train. De Saint Sernin sonda la pièce du regard, se préparant à repartir quand son regard croisa celui d’un vieil homme assis dans un coin du local et discutant avec quelques membres du RCK… Remi !
Aussi chic et digne que lors de sa première apparition, il était passé « par hasard » devant le local et y avait regardé le match avec les ultras rennais. S’ils savaient, pensa de Saint-Sernin. Les supporters de football sont du genre superstitieux, et même lui était à deux doigts de perdre tout sens rationnel face à cet étrange personnage.
Après quelques minutes de discussions avec les ultras rennais dans le local, de Saint Sernin prit ses distances en compagnie de Remi Chantrellunne. Sibyllin dans ses réponses, l’homme à la cape Gucci n’avait rien perdu de son incroyable aplomb.
– « C’était vous ? »
– « Comme promis »
– « Vous en avez d’autres en stock, des coups comme celui-là ? »
– « Sans aucun doute… »
– « Remettre Mevlüt dans le sens du but ? »
– « Donnez-moi trois jours. »
– « Si je vous demande du spectacle ? »
– « Donnez-moi un pied gauche, et les buts de Traoré c’est vous qui les aurez»
– « Réduire la fracture entre les joueurs et le public ? »
– « Cheick N’Diaye s’en occupera… »
– « Vous vous foutez de ma gueule ? »
– « Faites-moi confiance, vous allez même trouver une âme dans cette équipe… »
– « J’imagine que l’on n’a rien à perdre. Que voulez-vous ?
– « Un accord de principe, et on se voit demain ? »
– « Ça marche… Et, euh, ça vous dirait de plomber la saison d’Ahamada ? »
Rendez-vous était pris et l’histoire était en marche. Sur la route du retour, Frédéric de Saint Sernin ne comprenait pas ce sentiment de confort qui l’envahissait. Qu’est-ce qui avait pu le pousser à embaucher un parfait inconnu en quelques secondes sur du vent, quelques promesses et un fait de jeu peu commun ?
Et ce nom, Remi Chantrellunne, avait quelque chose qui continuait à l’intriguer, sans qu’il ne puisse vraiment l’expliquer. Soudain, un éclair isolé zébra la brume à l’Ouest de Rennes, comme un éclat de rire narquois dans la nuit bretonne. Comme une révélation également… Remi Chantrellunne… « Sacré Merlin », sourit Fréderic de Saint Sernin dans le confortable silence de sa berline, « on est tranquilles jusqu’au solstice d’hiver ».
excellent ! 🙂
J’aime bien les contes de fées 😉
très très bon!
J’adore le « Et, euh, ça vous dirait de plomber la saison d’Ahamada ? »
Un autre après le solstice d’hiver?
Ta fiction m’a rappelé quelque chose… le Président du Stade Rennais qui rencontre Merlin, ce n’est pas commun. Eh bien si, regarde un peu ce que j’ai retrouvé sur notre site:
http://forum.stade-rennais-online.com/viewtopic.php?id=3089
Alors plagiat ou pas ?
Remi Chantrellunne, ça va même jusqu’à l’anagramme du nom 🙂
C’est brillant, pas d’autre mot.
Merci 🙂
Filou> C’est le message de Roudoudou qui m’a donné l’idée originale en effet, mais étant donne que mon histoire est completement différente de la sienne mis a part qu’elles impliquent Merlin (qui reste un peu une star régionale) et un président du SRFC, je ne pense pas que cela puisse etre considéré comme du plagiat…
Apres chacun sa vision, mais ca m’embeterait d’etre rangé dans la categorie plagiaire pour avoir repris un concept et créé quelque chose de completement différent 🙂
C’est vrai que les deux versions sont vraiment très bien
Bien mené Puch’, comme souvent.
Ton Enchanteur, il prédit les fins de saison, les éliminations en demi, les dernières désillusions du mois de mai… ?
Au plaisir !
Il est passé où Rémi, samedi soir ? Hein ?
J’espère qu’il a gardé tous ses trucs en réserve sous sa cape Gucci pour le 1/4 de finale contre Troyes.
Chapeau, en tout cas pour le coup avec Cheikh N’Diaye, fallait le trouver, ce sortilège. Rien que pour ça, merci Rémi !