A propos de la récente finale de la Coupe de France de football opposant les équipes de Rennes et de Guingamp, j’évoquais, récemment, les mutations considérables observées dans le football professionnel depuis que les milieux d’affaires s’en sont emparés.
Une information, tenue secrète jusque-là, a été révélée le 11 mai – au lendemain de la finale, donc – par la presse régionale (Ouest-France), et en apporte une nouvelle magnifique illustration. Le groupe Pinault, propriétaire du Stade Rennais Football Club, aurait passé un accord avec le groupe Crédit Mutuel-Arkéa au terme duquel, en contrepartie d’un apport financier de 6 M d’euros par an pendant 5 ans, ce dernier obtiendrait, pour sa publicité, que l’enceinte où évolue depuis des lustres le Stade Rennais, connu dans toute la France sous la dénomination célèbre de « stade de la route de Lorient », deviendrait… « Fortuneo Stadium » (Fortuneo étant le nom de la banque en ligne et courtier de ce groupement du Crédit Mutuel ; on a pu constater que depuis leur déconfiture et la dégradation spectaculaire de leur image dans l’opinion publique, les banques en général ont engagé d’énormes budgets de publicité pour essayer de redorer leur blason).
Notons tout d’abord qu’il s’agit bel et bien d’une anglicisation avec l’utilisation du mot anglais « stadium ». Même si celui-ci est déjà utilisé parfois en France à la place du français « stade », les effets du mimétisme anglomaniaque – auquel les entreprises commerciales sont désormais bien incapables de résister – ne font ici aucun doute. On ne parle du reste pas de Stadium Fortuneo, mais bel et bien de Fortuneo Stadium, à l’anglo-saxonne (comme, par exemple, le fameux Yankee Stadium de New York, stade de baseball situé dans le Bronx, dont la nouvelle enceinte vient d’être inaugurée tout récemment). Cette pratique commerciale qui consiste à donner à une enceinte sportive le nom d’une marque ou d’une société, pour leur promotion, s’appelle, en anglais bien entendu, le « naming ». Encore peu usitée en France (il y a toutefois un projet de « MMA Stadium » avec l’équipe de football du Mans), elle est en vogue croissante dans les services de publicité et (ou) de communication, particulièrement en Allemagne.
La nouvelle ne manque pas de piquant au lendemain d’une période au cours de laquelle la Bretagne s’est naturellement passionnée pour cette fameuse finale qui, exceptionnellement, opposait le 9 mai dernier deux clubs bretons au Stade de France. D’innombrables voix ont été entendues, notamment du côté des élus locaux, pour faire de cette finale une fête de la Bretagne, une manifestation de son « dynamisme », de son attachement à sa spécificité, à ses racines, à son identité. Débaptiser le « stade de la route de Lorient » pour en faire le « Fortuneo Stadium », nom purement commercial, sans le moindre lien avec l’entité bretonne, totalement détaché de la longue histoire (il est né en 1901) du Stade Rennais, n’est pas vraiment de nature à satisfaire les ardents défenseurs de la Bretagne, pas plus, bien entendu, que les supporters de l’équipe rennaise (si l’on avait interrogé ceux-ci – mais on s’est bien gardé de le faire – ils auraient très probablement choisi comme nouveau nom celui d’une des grandes figures du Stade Rennais, celui de Jean Prouff, par exemple, récemment décédé, « Monsieur Jean » dans la mémoire collective du club, qui était l’entraîneur du Stade à la « grande époque », notamment en 1965 et en 1971, lorsque l’équipe avait gagné à deux reprises cette fameuse Coupe de France). Mais ces pratiques d’hommage à un glorieux « ancien », d’usage courant, partout, avant l’entrée en scène des milieux d’affaires, ne sont plus de mise aujourd’hui.
Cette nouvelle va « faire du bruit dans Landerneau » (c’est le cas de le dire). On attend avec impatience de savoir comment vont réagir groupes de pression privés, élus politiques et institutions publiques en charge de la défense des intérêts bretons, surtout la municipalité rennaise, propriétaire des installations du stade de la route de Lorient et qui a donc, à ce titre, les moyens de s’opposer à un projet de ce genre. On dit que l’ancienne municipalité (conduite par M. Edmond Hervé, aujourd’hui sénateur) lui était hostile, mais que la nouvelle, bien que du même bord politique, pourrait bien avoir changé d’avis à cet égard.
Les paris sont ouverts…
Par Jean-Pierre Busnel